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  • Thibaut Wauthion

Une histoire du décloisonnement | l'art et la silicon valley


En résumé : Territoire à l’économie florissante situé au sud de San Francisco et accueillant plusieurs milliers d’entreprises, la Silicon Valley est aussi devenue un terme repris par nombre de décideurs politiques pour qualifier leur région en devenir à la suite de plan de relance économique. Ce dernier se concentre généralement sur le seul domaine économique faisant abstraction du contexte artistique et culturel de la Silicon Valley qui participe à ce vaste élan entrepreneurial. À l’aide de systèmes managériaux basés sur la collaboration, l’interaction, l’immersion ou la découverte des arts, nombre d’entreprises de la Silicon Valley mettent, en effet, la culture au cœur de leur développement. Les arts deviennent alors un vecteur de la créativité et de l’esprit d’entreprendre.

Le management d’entreprises et les arts

Dans son ouvrage L’usage de l’art[1], Fred Turner aborde trois importantes entreprises de la Silicon Valley qui ont largement intégré une approche artistique dans leur système de management. Rappelant la tendance de grands groupes industriels du XXe siècle à collectionner des œuvres d’art en tant que symboles d’un statut social et actifs financiers, Fred Turner oppose cette démarche à plusieurs pratiques d’entreprises qui ont fait de l’art un véritable moyen de développement de la créativité et de l’épanouissement de leurs employés. Il revient sur trois types de management à travers les arts via les exemples de Xerox Parc, Facebook et Google.

Entreprise ayant historiquement développé nombre d’outils et concepts à l’origine de nos interfaces numériques actuelles, Xerox Parc a initié pendant la seconde moitié du XXe siècle un programme de collaboration entre ses ingénieurs et des artistes. Ces derniers travaillèrent ensemble sur des projets multidisciplinaires partageant leur point de vue, leur approche et leur expertise.

Dès ses débuts, alors inconnu, Facebook investit dans l’art, non pas en tant qu’actif financier, mais en tant que moyen de générer un cadre inspirant pour ses ingénieurs. Sollicitant un graffeur[2] pour peindre l’ensemble de leur bâtiment, l’entreprise préfère proposer à l’artiste des parts dans la société d’une valeur de 60.000 $, somme demandée par le graffeur pour la réalisation du travail. L’artiste accepte les parts et réalise l’œuvre murale qui représente le début de nombreuses autres intégrations artistiques dans les bâtiments de l’entreprise au point d’avoir besoin de plusieurs conservateurs pour gérer cette activité artistique. Dans l’approche développée par Facebook, le cadre inspirant est aussi important que les interactions générées entre artistes et employés pendant la réalisation des œuvres, le lieu de travail se confondant avec un atelier d’artistes.

D’autres sociétés ont initié de ce type de décloisonnement via notamment des résidences d’artistes dans l’entreprise. Pour ces dernières, il s’agit de véritable laboratoire d’innovation où ils peuvent découvrir de nouveaux équipements de pointe et expérimenter de nouvelles techniques. Le programme Artist in Residence[3] de Microsoft est un exemple éloquent de ce type de relation entre artiste et industrie.

Lors d’une de ses visites du siège de Google, Fred Turner découvre des murs recouverts de photos du festival Burning Man. Adeptes reconnus du festival, les fondateurs de l’entreprise invitent leurs employés à cet événement estival s’organisant au cœur du désert notamment autour de la création. Les ingénieurs de Google fabriquent, en effet, des œuvres et engins destinés ensuite au Burning Man, rejoignant cette culture californienne du ‘Makers’[4] jugée essentielle à l’émergence de nouveaux entrepreneurs dans la technologie[5]. L’expérience se prolonge jusque dans les espaces de l’entreprise, devenue actionnaire majoritaire de Burning Man en 2019, via les nombreuses photos du festival qui évoque cette immersion des ingénieurs dans la création artistique avant et pendant le festival.

« L’esprit de la Silicon Valley »

Google est loin d’être la seule entreprise intéressée par le Burning Man dont l’un des credo est de n’accueillir aucun spectateur mais que des participants. Avec ses quelques 80.000 participants provenant de nombreuses communautés diverses et variées, ce festival est aussi devenu le rendez-vous immanquable des entreprises innovantes de la Silicon Valley et au-delà.

… on trouvera nombre de parallèles entre le Burning Man et la Silicon Valley, jusqu’à, d’après certains, les apparenter totalement : « Burning Man is Silicon Valley », selon le mot d’Elon Musk. Les entrepreneurs ont de longue date fait de Black Rock City un terrain d’exploration : Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook), Garrett Camp (Uber), Drew Houston (Dropbox), Matt Mullenweg (WordPress).[6]

Ce festival a des allures d’utopie pour nombre d’entreprises à la recherche de créativité au même titre que d’esprit d’équipe, d’entreprendre et d’initiative. Cet événement fédérateur ouvre également à de nouvelles opportunités grâce aux rencontres et connexions qui se créent pendant le festival.


Des expériences inédites au profit de la créativité

Cette présence culturelle au sein de la Silicon Valley montre l’étroite imbrication économico-artistique de ce territoire dédié à la création. La littérature sur le sujet reste malheureusement laconique, Fred Turner l’expliquant par l’extrême opacité de ces entreprises. Toutes les analyses de ce sujet convergent néanmoins vers le même « usage de l’art ». Ce modèle privilégie la création d’expériences éphémères et régulières immergeant les ingénieurs et autres employés dans la création artistique à travers l’interaction ou la collaboration avec des artistes, voire directement la conception d’œuvres ou, à tout le moins, d’objets poétiques par les employés eux-mêmes.


Thibaut Wauthion


[1] TURNER, Fred, L’usage de l’art, De Burning Man à Facebook, art, technologie et management dans la Silicon Valley, Caen, 2020. [2] Cf. https://www.cnbc.com/2017/09/07/how-facebook-graffiti-artist-david-choe-earned-200-million.html [3] Cf. https://www.microsoft.com/en-us/research/group/artist-in-residence/ [4] Cf. https://www.lesechos.fr/2014/06/les-makers-pionniers-de-lindustrie-de-demain-285468 [5] GALLUZZO, Anthony, Le mythe de l’entrepreneur : défaire l’imaginaire de la Silicon Valley, Paris, 2023, p. 86.

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